Un article très juste et plein d’humour !

« Vous vous mettez au Yoga parce qu’une amie vous a proposé de l’accompagner à son cours, parce que votre médecin vous l’a conseillé, parce qu’on vous a dit que cela vous ferait du bien, parce que vous avez lu que c’était bon pour pleeeeiiiiiin de choses, parce qu’on en parle de plus en plus à la télé (ça doit donc sûrement prouver que c’est vraiment vrai que c’est bien alors !…😉 ), etc etc.

Mais une fois en pratique, vous prenez soudain conscience que vous n’avez absolument aucune idée du nombre de vertèbres que peut exactement contenir votre dos qui, jusque là, vous semblait tenir en une seule pièce rouillée.

Vous vous demandez, en toutes les langues et en vain, quoi faire de ces deux jambes et ces deux bras qui – nom d’un chien tête en bas ! – s’avèrent en fait être les vôtres et vous vous dites que tout ça, c’est bien plus qu’il n’en faut pour une seule personne.

Vous cherchez partout dans vos poches et votre sac où peut donc bien se trouver le mode d’emploi de vos poumons qui, paraît-il, sont deux eux aussi alors que vous avez plutôt l’impression d’avoir toujours respiré avec seulement la moitié d’un seul.

Vous finissez par vous dire que – bon sang ! – décidément vous ne connaissez vraiment rien (ou du moins pas grand chose) à cet individu – à savoir, vous – qui, dirait-on, vient de naître à l’instant pour la première fois de sa vie sur votre tapis.

Allez, asseyez-vous donc et essayez un peu de méditer… Mais aussitôt vous vous trouvez incapable et culpabilisez parce qu’un lot de contrariétés en promotion (une pensée, deux gratuites) est venu envahir votre esprit et mettre à mal et en vrac (selon vous) votre tentative méditative.

Avant d’en arriver là, il est bien possible que vous ayez déjà essayé et peut-être même que vous vous laisserez encore tenter par plein d’autres « trucs » pour « prendre soin de vous ». Parce que, de nos jours, on considère qu’il est impératif de « prendre soin de soi » et gare à vous si vous jouez les dissidents, on vous réprimandera tôt assez. Chacun est en effet chargé de la responsabilité de son propre bien-être car si on ne se dévoue pas pour « prendre soin de soi-même », qui le fera ?

Alors que fait-on pour aller mieux en attendant d’aller bien ?

L’hypnose peut-être ? Il y a de plus en plus d’études (scientifiques en plus ! Ça, c’est bien un gage de confiance, non ?) qui disent que c’est drôlement bien pour « gérer le stress », et « se sentir mieux dans sa peau », et décrocher des addictions (ou en remplacer une par une autre moins pire, c’est déjà ça…), et perdre du poids (corps et tête incluse), et voyager dans le passé pour mieux revenir dans le présent de façon à mieux vivre le futur, et tout, et tout…

Ce qui « marche » bien et donne aussi de très bons « résultats » c’est la thérapie par l’enlacement de troncs de platanes plantés spécialement là pour cueillir vos câlins, histoire de vous reconnecter à votre ancrage qui est sérieusement en train de prendre racine, de s’enterrer ou, pire, de partir en friche. Si, si ! C’est écrit sur les brochures et les sites Internet dans la rubrique « Bienfaits ».

Sinon il existe aussi des formations saisonnières de chants de mantras coachées par des pigeons ramiers momentanément sédentarisés à terre avant de repartir piailler sous d’autres cieux dans lesquels leur migration ne sera pas un problème d’état. Voilà qui serait formidable pour, au choix, vous apprendre à faire entendre votre voix si vous vous étouffez dedans ou bien alors pour vous clouer le bec s’il a tendance à trop s’ouvrir.

Mais bon, malgré la pléthore de propositions qui nécessiteraient presque de rompre avec toute activité professionnelle et familiale pour pouvoir se consacrer uniquement eh bien… à ça… enfin… – pardon ! – à soi… , le Yoga, la méditation, c’est quand même pas mal… La preuve ! : c’est ce dont on parle le plus !

Partout, on dit, on lit à quel point leur pratique est pourvoyeuse des bienfaits les plus espérés (et même aussi inespérés). Personne ne peut y échapper. A moins bien sûr que vous ne vous soyez retiré en méditation profonde dans une caverne sans connexion wifi… Quelle idée !😀

Yoga avant-après
Vous étiez quelconque, vous deviendrez féerique !

Avez-vous vu un peu le nombre de pages blanches sacrifiées et tous ces litres d’encre versés, prêchant ceux déjà convertis au sujet et ceux à qui il manque un dernier petit argument avant de se lancer ?

Nous avons tous (au moins) une – si ce n’est mille – bonne(s) raison(s) de pratiquer. Coup au moral, mal partout, trou à l’âme, le Yoga est fait pour tout, pour vous, pour nous, pour tous.

On vante ses mille prouesses, on vend ses mille promesses : oui, le Yoga est bon pour tout !

Et pourtant… bon à rien !…

Le Yoga, ça sert à… rien.

Même si ce serait suffisant et surtout particulièrement amusant de terminer ce texte là-dessus, l’énonciation – il faut bien le dire : culottée – d’un tel propos, qui plus est tenu dès le titre (faut-il être fourbe pour choisir une telle accroche incitant à la lecture ?), nécessite tout de même une petite explication…

Démonstration par la pratique parce que – est-il bien nécessaire de le rappeler ? – une pratique eh bien… ça se pratique… sinon, on appelle ça autrement, ce ne sont pas les mots qui manquent.

Étant donné que, à l’époque actuelle, c’est généralement par la pratique posturale que le Yoga est abordé en premier lieu, l’expérimentation se fera donc sur un tapis, même si – là encore, est-il bien utile de le rappeler ? – la pratique ne s’arrête pas aux frontières de ce rectangle de couleur sur lequel vous posez l’empreinte de vos pieds ou de vos jolies p’tites fesses.🙂

Alors vous voilà, avec toutes vos vertèbres, tous vos bras, toutes vos jambes et tous vos poumons que vous êtes encore en train de compter depuis tout à l’heure. Et vous allez donc expérimenter l’Asana, la posture. Quelle qu’elle soit.

La plupart du temps, comme tous les chemins mènent à Asana, il vous est indiqué une (voire plusieurs) proposition(s) de marche à suivre pour entrer dans la posture. Et ensuite pour en sortir. Encore que… rester toute une vie avec les chevilles autour du cou serait sans nulle doute une expérience intéressante… bien que peu commode pour se déplacer au quotidien.😉

Mentalement, vous prenez donc conscience du cheminement plus ou moins laborieux et tortueux par lequel votre corps et vous devrez passer pour recueillir tous les bienfaits de ladite posture.

Une fois en situation, on fait moins le malin : pas si simple…

Alors, la plupart du temps, on assiste à deux configurations possibles :

Ou bien on baisse les bras (alors qu’on avait dit pourtant de les monter…) car « de toute façon j’y arriverai jamais », comme si la posture était jugée « réussie » et « efficace » qu’à condition d’être « parfaitement » exécutée.

Ou bien on s’acharne à tirer de tout côté pour tout faire rentrer « comme il faut » dans la posture, en fronçant bien fort les sourcils comme si ça pouvait aider – comme un chausse-pieds – à amadouer les hanches les plus récalcitrantes à bien vouloir s’ouvrir pour accueillir dans leur creux vos chevilles : « il va bien finir par passer ce lotus ! ». Là encore dans l’idée que tout se mérite : « pas d’asana, pas d’ananda ! » (pas de posture, pas de félicité !).

Dans tous les cas, c’est intéressant de voir l’ego qui se lamente et s’énerve tout seul contre toi dans ta tête : « j’ai maaaaaaal », « j’y arrive paaaaaaas », « je suis trop nuuuuuuul », « saleté de posture ! », « tu vas rentrer, oui ! », etc, etc parce que l’ego est très prolixe et que sa passion c’est de tout faire pour éviter de nous foutre la paix. Et généralement il réussit très bien du reste !

Donc… Le Yoga… ça sert à quoi ?

A améliorer la souplesse et la détente ? à réduire les douleurs et le stress ? à se sentir plus souvent bien et moins souvent mal ?…

C’est ce que tout candidat à la pratique recherche, c’est aussi ce qui motive chaque pratiquant à continuer à l’être, c’est également ce qui fait revenir à la pratique celui qui l’avait désertée.

Mais…

Tout cela, tous ces bienfaits tant espérés comme récompense à son assiduité, tout cela éloigne en fait de l’essentiel.

Nombreux sont ceux – sommes-nous – à pratiquer en nous disant que ça va nous faire du bien, en pensant à tout ce que cela va nous apporter, avides des prodiges que la pratique réalisera en nous.

Et pourtant… le Yoga, ça sert à… rien.

Car tant que l’on focalise sur ce à quoi ça sert, sur les effets recherchés, sur les résultats attendus, l’ego domine : il estime que ce n’est que justice si l’on reçoit les fruits de sa pratique ; il considère comme un préjudice le fait de ne pas « progresser » en dépit du temps passé à pratiquer ; il juge que c’est tantôt gratifiant quand ça fait du bien, tantôt décevant quand l’effet escompté n’est pas au rendez-vous.

Mais en réalité, la pratique la plus fructueuse est celle dans laquelle la seule conviction présente est que le Yoga, ça sert à… rien : on est juste là et tout ce qui est là est vécu sans intention, sans orientation, sans projection, sans ambition.

Lorsque rien n’est attendu, c’est là où Tout peut arriver.

C’est lorsque l’on cesse d’être obnubilé par tout ce que l’on souhaiterait obtenir que l’on devient alors suffisamment spacieux pour recevoir non pas ce que l’on attend mais ce qui nous attend.

Oui, c’est parce que tu es là, vierge de toute attente, que tu es alors dans cet état de disponibilité et d’accueil à tout ce qui est fait pour toi.

Oui, c’est lorsque l’on cesse enfin de tout en attendre et en espérer, c’est lorsque le Yoga ne sert plus à rien, donc, que l’on peut enfin le vivre et le laisser vivre en Soi. »

Marie Ghillebaert

Photos :

– Shiva Nataraja paré de tous ses attributs, peinture murale, Lakshmipuram, Mysore, Karnataka, Inde (juillet 2014)

– Yoga avant-après, Google images

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